Plus de 100 000 Afghans, dont plus de la moitié sont des enfants, ont quitté le Pakistan au cours des trois dernières semaines. Cette vague d'exode fait suite à une campagne d’expulsion massive lancée par Islamabad, visant des migrants parfois nés sur le sol pakistanais ou y résidant depuis des décennies. Le ministère pakistanais de l’Intérieur a recensé «100 529 Afghans ayant quitté le pays» depuis le 1er avril.
Le gouvernement pakistanais, confronté à une recrudescence des violences dans ses régions frontalières avec l’Afghanistan, accuse les trois millions d’Afghans vivant sur son sol d’être «liés au terrorisme et au narcotrafic». En réponse, il a annulé les 800 000 cartes de résidence distribuées à des Afghans, les obligeant à quitter le territoire d'ici la fin du mois. Fin 2023, une première campagne similaire avait déjà conduit quelque 800 000 Afghans à rentrer dans leur pays d’origine.
Une crise humanitaire en pleine expansion
Réactions et tensions diplomatiques
Kaboul, dont le gouvernement taliban n’est reconnu par aucun pays au monde, se dit «préoccupé» et «déçu» par ces expulsions, accusant son voisin d’utiliser les migrants «à des fins politiques». Chaque jour, des convois de familles juchées avec leurs ballots faits à la hâte sur des camions colorés franchissent les deux postes-frontières entre le Pakistan et l’Afghanistan.
«Je suis né au Pakistan et je n’ai jamais mis les pieds en Afghanistan», s’inquiète Allah Rahmane, 27 ans, rencontré samedi par l’AFP au poste-frontière de Torkham, dans le nord-ouest du Pakistan. Lui a préféré partir volontairement avant d’être arrêté alors que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a déjà recensé depuis début avril plus d’arrestations et de détentions d’Afghans au Pakistan que durant toute l’année 2024.
Conditions de vie et perspectives des migrants
Militants et migrants accusent depuis des mois le Pakistan d’arrestations arbitraires, de racket et de harcèlement à l’encontre des Afghans. «J’ai eu peur d’être humilié par la police avec ma famille», raconte Allah Rahmane, donc «on rentre en Afghanistan parce qu’on n’a vraiment aucun autre choix». Là-bas, ces migrants de retour ne trouveront que marasme économique et pauvreté galopante, selon les ONG.
Car si les violences ont quasiment disparu depuis le retour au pouvoir des talibans à l’été 2021, plus de la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire pour survivre, ce qui fait de l’Afghanistan la deuxième plus grande crise humanitaire du monde.
Réactions au Pakistan
Au Pakistan, cette nouvelle campagne bénéficie d’un large soutien de la population. «Les loyers ont doublé depuis l’arrivée des Afghans», lance Tanveer Ahmad, coiffeur d’Islamabad de 41 ans. «Ils sont venus pour obtenir le statut de réfugié, mais ils ont fini par voler les emplois des Pakistanais qui ont déjà du mal à s’en sortir», martèle-t-il.
À l’inverse, un commerçant s’inquiète, en refusant de donner son nom: «les Afghans acceptent des tâches dont les Pakistanais ont honte, comme ramasser les ordures. Qui le fera après leur départ?».
Appels à la dignité et à l'aide internationale
Samedi, le Premier ministre taliban Hassan Akhund a dénoncé les «mesures unilatérales» de son voisin et exhorté le chef de la diplomatie pakistanaise Ishaq Dar qu’il recevait à Kaboul à «faciliter un retour digne des réfugiés afghans». D’après le HCR, «58% d’entre eux sont des enfants» - qui rentrent dans le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’étudier au-delà de 12 ans.
Naqibullah, 39 ans, rencontré par l’AFP du côté afghan de Torkham, sait déjà qu’il va devoir déscolariser ses filles. «Au Pakistan, elles allaient à l’école et apprenaient dans différents domaines, ici, elles ne pourront pas étudier et c’est un problème», lance-t-il.
Programmes de réinstallation et incertitudes
Parmi les Afghans présents au Pakistan, des milliers ont quitté leur pays à la demande d’ambassades qui se sont retirées de Kaboul à la prise de pouvoir des talibans et délivrent désormais leurs visas à Islamabad, notamment.
Outre les programmes de réinstallation d’Afghans et d’Afghanes - pour la plupart menacés sous le pouvoir taliban - en Europe et ailleurs dans le monde, une bonne part des près de 13 000 Afghans ayant obtenu le feu vert pour une relocalisation aux États-Unis attendent au Pakistan. Le sort de ces «12 866 candidats», selon le département d’État américain, est aujourd’hui suspendu à la décision du président Donald Trump de reprendre les programmes d’aide aux réfugiés qu’il a gelés.
Le Pakistan, lui, a donné jusqu’au 30 avril aux ambassades pour évacuer ces réfugiés avant de les expulser également. Et le 30 juin, il réévaluera la situation des plus de 1,3 million de porteurs de carte dites «PoR» du HCR.