Le manque d'opportunités, la fatigue du système, la vie médiocre à Jakarta... Les jeunes d'Indonésie, déçus, partent à l'étranger chercher de meilleures opportunités. Patricia, une professeure particulière de Jakarta, apprend l’allemand depuis deux ans: à l’aube de ses 40 ans, elle rêve désormais de partir en Europe, poussée par le manque d’opportunités et la stagnation économique en Indonésie. L’enseignante fait partie des milliers d’Indonésiens qui mettent en avant un hashtag devenu viral sur X, qui se traduit par «Fuyons pour le moment».
«Après avoir travaillé pendant tellement d’années, mes revenus restent à peu près les mêmes alors que mes besoins augmentent», déplore la femme de 39 ans. «J’ai l’impression que si je continue à travailler comme ça, ce ne sera probablement jamais assez», ajoute-t-elle, précisant au passage ne posséder «ni maison ni voiture».
La viralité du hashtag «Fuyons pour le moment»
Un mouvement qui prend de l'ampleur
Le mois dernier, le hashtag a pris de l’ampleur, accumulant des milliers de mentions et atteignant plus de 65 millions de comptes sur X. Au même moment, des milliers d’Indonésiens manifestaient pour protester contre les énormes coupes budgétaires décidées par le président Prabowo Subianto, visant à financer notamment un coûteux programme de repas gratuits. En août 2024, l’Indonésie comptait près de 7,5 millions de chômeurs, selon l’agence nationale de statistiques.
La colère contre une qualité de vie médiocre
La situation n’a fait qu’attiser la colère contre une qualité de vie jugée médiocre, alors que le fossé entre les riches et les pauvres s’élargit, et que la classe moyenne est réduite à peau de chagrin. «Après de nombreuses politiques étranges et le changement de président, j’ai commencé à ressentir le besoin de partir à l’étranger», témoigne Chyntia Utami, 26 ans, qui déclare travailler dans le secteur technologique à Jakarta.
«C’est devenu une nécessité absolue», poursuit-elle, indiquant ne bénéficier «d’aucune aide sociale» et ne disposer que de «peu d’argent» pour ses dépenses. Randy Christian Saputra, 25 ans et déjà «fatigué du système indonésien», a quitté son emploi dans une société de conseil pour travailler dans une ferme de tomates en Australie. «À l’étranger, ils ont généralement un meilleur système», confie-t-il.
Les témoignages de ceux qui partent
Favian Amrullah, ingénieur en logiciel de 27 ans qui part travailler en avril pour une startup à Amsterdam, a de son côté indiqué qu’il est pénible de vivre à Jakarta «à cause de la pollution ou des embouteillages». Ika Karlina Idris, professeure associée à l’université Monash, estime que le hashtag a mis en évidence «les préoccupations du public concernant l’emploi et le népotisme, par exemple les politiques publiques désordonnées».
Réactions du gouvernement et désinformation
Le hashtag a suscité des critiques de la part de certains ministres du gouvernement. Le mois dernier, le ministre adjoint de la main-d’œuvre, Immanuel Ebenezer, a déclaré à un journaliste: «Fuyez, si c’est nécessaire, ne revenez pas». Les influenceurs pro-Prabowo ont également diffusé de la désinformation visant à saper la crédibilité des manifestants qui se plaignent de l’état du pays.
L'espoir d'une vie meilleure à l'étranger
Patricia n’est pas découragée pour autant: elle a décidé de se porter candidate à un poste de bénévole en Allemagne, un tremplin pour trouver un emploi rémunéré dans ce pays grâce à ses compétences linguistiques. «Je veux me battre là-bas pour obtenir un meilleur emploi, une meilleure vie, un meilleur revenu», a-t-elle déclaré. «Quand j’aurai une place là-bas, non. Je ne retournerai pas en Indonésie.»