Pieds nus devant l’autel, elle célèbre une messe yoga. Le lendemain, elle est élevée au rang d’évêque d’Oslo devant le roi. Dreadlocks et nez percé, Sunniva Gylver, 58 ans, dit vouloir montrer un autre visage de l’Église protestante de Norvège. Avec une allure et un franc-parler atypiques dans les hautes sphères religieuses, la nouvelle évêque luthérienne de la capitale assume de détonner.
«Si on devait tous s’habiller très sagement ou en costume gris, cela en dirait aussi long sur Dieu. Je pense que nous devons mieux représenter et montrer la diversité qui existe au sein des communautés chrétiennes», décrypte cette femme volubile. Samedi, veille de sa consécration épiscopale, elle présidait encore une messe mêlant liturgie et exercices de yoga.
Un visage moderne de l'Église
Messe yoga et spiritualité
Sur des tapis de sol au pied des bancs, une vingtaine de fidèles enchaînent postures et étirements avant de réciter un «Notre Père». «Je me suis rendu compte que, pour beaucoup de gens, le yoga était la principale manière de se détendre et de réellement accueillir quelque chose qui vous dépasse», confie Mme Gylver – par ailleurs instructrice dans une salle de gymnastique.
Innovations pastorales
En trois décennies de pastorat, elle a également organisé des mariages «drop-in» (sans rendez-vous), des séances Harry Potter... «Je n’ai jamais perçu de contradiction entre expressions modernes et anciennes traditions, entre la spiritualité classique et les nouvelles formes qui émergent», dit-elle.
Avant de devenir évêque, elle se départissait rarement de son tee-shirt noir floqué du mot «Pasteur» parce que, pour elle, «la religion et Dieu sont plutôt invisibles dans une société très sécularisée». Et c’était une façon d’inviter les gens à venir lui parler.
Épreuves personnelles
À plusieurs reprises, sa foi a été mise à l’épreuve. À 16 ans, elle perd sa sœur cadette, Gunvor, anorexique. Elle-même manque de mourir en 2017 quand une voiture la fauche sur son vélo, puis c’est Lars Kristian, son époux pendant plus de 30 ans, qui est emporté par un cancer.
Engagement et diversité
Favorable au mariage homosexuel et hostile à un retour en arrière sur l’avortement, elle a fait du dialogue interreligieux un credo. En 2006, elle est la première femme pasteure à faire un discours dans une mosquée norvégienne. «Je suis habituée à la diversité des croyances», dit-elle. Son mari était athée. Idem pour deux de leurs trois enfants.
Aujourd’hui, elle est agacée par le détournement de la religion à des fins identitaires, ce qui creuse des fossés là où il faudrait jeter des ponts. «Quand Poutine et Trump, chacun à leur manière, utilisent le christianisme – ma religion – de façon très politisée et destructrice, il est important pour moi que nous, en tant qu’Église, élevions nos voix pour la justice, la solidarité, l’accueil de l’étranger parmi nous, et pour réduire les inégalités entre riches et pauvres».
Dans ce monde «rempli d’étoiles et d’excréments», dit-elle en citant son compatriote, l’écrivain Jens Bjørneboe, l’Église doit être comme «le moustique si petit, un peu agaçant mais qui se rappelle sans cesse à vous». Son cœur bat aussi pour la protection de la planète. Elle n’a pas de voiture, n’a plus pris l’avion depuis une dizaine d’années, et insiste pour continuer à vivre chichement, avec Milla – son Jack Russell terrier -, dans un studio de 33 m2 plutôt que dans un immense logement de fonction. «Je ne vais pas vous dire, en tant qu’évêque, que vous devez faire ci ou ça, mais je veux essayer de mener une vie qui inspire».