Lundi, à New York, deux cents survivants de l'Holocauste ont commémoré le 80e anniversaire de la libération du camp de la mort nazi d'Auschwitz. Parmi eux, dix nonagénaires ont immortalisé leurs témoignages exceptionnels grâce à l'intelligence artificielle. Ces survivants, nés en Europe et ayant échappé enfants à l'extermination avant d'émigrer aux États-Unis, étaient réunis au Museum of Jewish Heritage (MJH NYC), sur la pointe sud de Manhattan, avec une vue imprenable sur la Statue de la Liberté et Ellis Island, là où la plupart étaient arrivés par bateau après la Seconde Guerre mondiale.
Alors que tous ces Juifs européens devenus Américains et leurs proches regardaient la cérémonie de commémoration en Pologne retransmise en direct au musée, certains ont dénoncé un «retour de l'antisémitisme». «Nous avons survécu (...) pour dire au monde ce qu'il s'est passé», s'est exclamée, en personne, Toby Levy, née en 1933 près de Lviv, en Pologne à l'époque, aujourd'hui dans l'ouest de l'Ukraine.
L'intelligence artificielle au service de la mémoire
Les récits immortalisés
Les récits de Toby Levy et de neuf autres survivants de la Shoah perpétrée par l'Allemagne nazie sont désormais à jamais préservés grâce à l'intelligence artificielle, s'est félicité auprès de l'AFP Mike Jones, père de ce projet technologique inédit entre le musée et University of Southern California Libraries (USC). Ces dix femmes et hommes ont été interviewés l'été dernier en vidéo par USC et MJH NYC.
Leurs réponses à des questions types sur leur enfance avant la guerre, leur survie dans les camps, leur libération et leur vie depuis plus de 70 ans aux États-Unis ont été consignées dans une base de données de textes, sons et images. Le visiteur du musée ou de son site internet peut alors interroger ces survivants par ordinateur et écran interactifs et ils répondent sur des vidéos pré-enregistrées.
Des histoires intemporelles
«Les histoires et expériences de ces survivants sont fondamentalement intemporelles», a souligné Mike Jones auprès de l'AFP. Ce sont «des histoires d'êtres humains commettant des atrocités impardonnables contre d'autres êtres humains», s'est ému l'informaticien.
C'est ce qui a poussé Alice Ginsburg à témoigner. Via l'IA et en personne. Elle est née en 1933 en Tchécoslovaquie, aujourd'hui la Hongrie, fut déportée en 1944 à Auschwitz où elle a failli périr «de faim et du travail forcé», avant la libération le 27 janvier 1945. C'était «l'inhumanité de l'Homme contre l'Homme», a-t-elle dénoncé auprès de l'AFP.
«Pourquoi tant de haine (alors que) les Juifs n'avaient rien fait, que nous n'avions rien fait. Pourquoi avoir tué un million et demi d'enfants?», a soufflé Mme Ginsburg. La New-Yorkaise s'alarme aujourd'hui des «négationnistes de l'Holocauste, une nouvelle forme d'antisémitisme» en Europe et aux États-Unis.
Un devoir de mémoire
De même, Jerry Lindenstraus, né en Allemagne au début des années 1930, installé à New York depuis 1953 après une jeunesse en Amérique du Sud, a immortalisé son récit via l'IA. En personne à New York, il a plaidé «pour que nous n'oubliions jamais ce qui s'est passé», notamment parce que «des lycéens n'en ont aucune idée».
M. Lindenstraus s'est aussi inquiété auprès de l'AFP d'un «antisémitisme pire» que par le passé, depuis la guerre d'octobre 2023 entre Israël et le Hamas palestinien. C'est ce qu'a dit aussi Bruce Ratner, président du musée juif: «L'antisémitisme est de retour comme jamais je ne l'aurais imaginée», même si l'Holocauste «ne se reproduira pas».
Survie dans les camps
- Toby Levy s'était cachée enfant dans des ghettos juifs en Pologne avant leur libération par l'Armée rouge en 1944.
- Alice Ginsburg a survécu à Auschwitz malgré la faim et le travail forcé.
- Jerry Lindenstraus a passé sa jeunesse en Amérique du Sud avant de s'installer à New York en 1953.
Témoigner en personne
Mme Levy avait traversé l'Atlantique en 1949 jusqu'à la Nouvelle-Orléans, puis New York, mégapole multiculturelle américaine qui compte aujourd'hui quelque deux millions de Juifs et qui s'est toujours construite grâce à des vagues historiques d'immigrations.
«Nous avons réussi! 75 ans après, je suis ici aux États-Unis et nous y avons fait notre vie», a lancé debout devant des journalistes cette femme de 91 ans.
Ces témoignages, immortalisés grâce à l'intelligence artificielle, permettront aux générations futures de ne jamais oublier les atrocités commises pendant l'Holocauste et de continuer à lutter contre l'antisémitisme.