Alors qu’il a œuvré en Ukraine ou à Gaza, le médecin humanitaire français Raphaël Pitti entretient un lien fort avec la Syrie. Interview à Damas.
Ponte de la médecine de guerre, Raphaël Pitti, 74 ans, s’est rendu pour la Xème fois en Syrie en 12 ans. Avec la chute du régime d’Assad, son travail cette fois-ci est différent. Le Français a rencontré les nouvelles autorités pour planifier l’avenir humanitaire du pays.
Le combat silencieux d’un médecin de guerre
Un engagement sans âge
Qu’est-ce qui vous pousse, à 74 ans, à exercer encore?
Je ne réfléchis pas en terme d’âge, mais en terme de chemin de vie. L’important a été pour moi de donner un sens à la mienne. C’est une pensée très occidentale d’imaginer un temps pour l’enfance, pour l’adolescence, pour l’âge adulte et pour la retraite. Je suis encore en forme, je fais du sport, j’ai une activité politique aussi, je suis conseiller municipal de la ville de Metz. Donc je ne me pose pas la question de l’âge.
Un lien indéfectible avec la Syrie
Pourquoi avez-vous ce lien particulier avec la Syrie?
Car c’était un engagement qui ne pouvait pas se délier comme ça. J’ai vu mes collègues et amis se faire bombarder depuis le début. J’ai formé des infirmiers et des médecins à Raqqa, à Alep. Je ne pouvais pas rentrer et dire simplement que c’était fini. J’ai vécu énormément de choses. On a dû se déplacer plusieurs fois. J’ai œuvré près de la frontière libanaise, puis le Hezbollah nous a attaqué. Je ne pouvais pas les laisser. C’était d’ailleurs difficile de rentrer dans le pays sous le régime d’Assad. La majorité du temps, je suis entré de manière clandestine en Syrie, puis mes amis ont réussi à m’avoir une carte d’identité syrienne.
La médecine de guerre : une dimension particulière
Qu’est-ce qui différencie la médecine de guerre et la médecine traditionnelle?
La guerre doit être considérée comme une catastrophe. Il y a les catastrophes naturelles et la guerre est une catastrophe d’origine humaine. Mais par rapport aux autres, la guerre a une dimension particulière car elle est évolutive dans le temps. On ne sait jamais comment elle va évoluer, ni où, ni quand. Et il est difficile d’évaluer son impact. Un médecin de guerre doit assister les populations déplacées et les hôpitaux civils, gérer les afflux de blessés etc. Aussi, la guerre laisse des séquelles, et il faut un suivi psychologique du personnel sur le terrain.
Des points communs et des différences
Y a-t-il des points communs à toutes les zones de conflit où vous avez travaillé? Et des différences?
Dans toutes ces situations, nous devons apprendre à nous adapter en permanence, ce qui veut dire qu’il faut se battre selon un seul principe: tenter de sauver le plus grand nombre de personnes tout en sachant qu’on ne pourra pas sauver tout le monde. Il y a des situations où on est plus confortables, on peut nous envoyer des véhicules pour évacuer des gens. Et des fois on n’a rien, et on fait avec ce qu’on peut. Mais je dois dire qu’à Gaza, c’est le paroxysme de ce que j’ai pu voir dans ma vie de médecin. Il n’y a pas de matériel, pas assez de médecins. Nous avons dû amputer des enfants car on ne pouvait pas les soigner. On a dû décider de ne pas soigner certaines personnes qui en Yougoslavie ou en Ukraine auraient pu être sauvés. Ce que fait Israël est inimaginable sur le plan du droit humain.
L’avenir humanitaire en Syrie
Comment voyez-vous la suite des événements en Syrie d’un point de vue humanitaire?
Nous avons rencontré le ministre de la santé pour savoir ce qu’il attendait de nous. Nous souhaitons une coordination de toutes les ONG, mais qui doivent rester autonomes et indépendantes sans se soumettre aux nouveaux dirigeants. Ensuite, il faut absolument soutenir et donner des moyens aux associations locales. Nous devons les appuyer de manière à recréer une société civile pour leur dire que c’est aux locaux de prendre leur propre liberté sans trop attendre de l'État.