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Cisjordanie : 3 200 Bédouins forcés de quitter leurs terres


Depuis octobre 2023, la violence des colons israéliens contraint des milliers de Palestiniens à abandonner leurs villages ancestraux en Cisjordanie.

Cisjordanie : 3 200 Bédouins forcés de quitter leurs terres

En Cisjordanie occupée, le quotidien des communautés bédouines s'est transformé en cauchemar. Depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023, la violence des colons israéliens s'est intensifiée de manière alarmante, contraignant des milliers de Palestiniens à abandonner leurs terres ancestrales. Le village d'al-Hathrura illustre dramatiquement cette situation où le harcèlement quotidien, l'impunité et l'absence de protection transforment la vie en enfer pour ces populations.

Aujourd'hui désert, ce hameau bédouin du centre de la Cisjordanie témoigne d'un phénomène d'expulsion massive orchestré par des colons installés dans des avant-postes illégaux, même au regard de la loi israélienne. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 3 200 Palestiniens issus de communautés bédouines ont été forcés de quitter leurs habitations depuis octobre 2023, selon les Nations unies.

L'exode forcé d'Ahmed Kaabneh et de sa communauté

Ahmed Kaabneh avait pourtant pris la résolution de ne jamais abandonner ses terres. Après 45 ans passés dans le village d'al-Hathrura, ce Bédouin quadragénaire s'était enraciné profondément dans ce territoire aride de Cisjordanie. Mais l'installation de jeunes colons israéliens à seulement 100 mètres de sa maison a brisé cette détermination.

"C'est très difficile de quitter un endroit où vous avez vécu pendant 45 ans, quasiment toute une vie", confie-t-il avec émotion depuis sa nouvelle habitation de fortune, construite au milieu des collines rocailleuses de Jéricho. "Mais que faire ? Ils sont forts et nous sommes faibles, nous n'avons aucun pouvoir", ajoute-t-il, résumant le sentiment d'impuissance qui accable sa communauté.

Un village fantôme abandonné dans la précipitation

Désormais, le petit village de maisons en bois et métal est complètement désert. Seuls quelques activistes d'ONG et un vieux chat errent entre les vestiges d'une vie brutalement interrompue. Des vélos d'enfants, des chaussures abandonnées et des objets du quotidien éparpillés témoignent d'un départ précipité, dans l'urgence et la peur.

Ahmed Kaabneh, quatre de ses frères et leurs familles ont dû se relocaliser à 13 kilomètres de leur village d'origine, dans des structures métalliques qu'ils ont construites eux-mêmes. "Nous sommes dans un endroit où nous n'avons jamais vécu, c'est difficile", soupire-t-il. Mais même dans ce nouvel emplacement, la sécurité reste illusoire : des colons se sont déjà aventurés non loin de là et surveillent sa communauté depuis une colline voisine.

Un harcèlement quotidien et systématique

Quelques semaines avant leur départ forcé, l'AFP avait rendu visite à la famille Kaabneh. Déjà à cette époque, deux colons surveillaient le hameau depuis une colline surplombant la route poussiéreuse. Des caravanes et un drapeau israélien marquaient l'emplacement de l'avant-poste récemment installé.

"C'est une situation terrifiante", racontait alors Ahmed Kaabneh, décrivant un harcèlement quotidien insoutenable. "Ils crient toute la nuit, jettent des pierres... Ils nous empêchent de dormir la nuit et de circuler librement le jour", témoignait-il, illustrant un grignotage constant du territoire par les colons.

Ce harcèlement systématique vise clairement à rendre la vie impossible aux populations locales, dans le but évident de les pousser à partir. Une stratégie qui s'avère malheureusement efficace face à l'absence totale de protection.

Une violence sans précédent depuis octobre 2023

L'escalade de la violence des colons a atteint des sommets inquiétants. Octobre 2025 a été le mois le plus violent depuis que les Nations unies ont commencé à recenser les violences des colons en 2006. Cette intensification dramatique intervient dans le contexte de la guerre à Gaza, déclenchée après l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.

Les attaques contre les communautés locales se multiplient, notamment de la part de colons installés dans des avant-postes illégaux même selon la loi israélienne. Ces agresseurs bénéficient d'une impunité quasi totale : ils ne sont quasiment jamais traduits en justice, comme le relèvent systématiquement les ONG qui recensent les incidents.

Une impunité dénoncée par les organisations de défense des droits

Sahar Kan-Tor, militant de l'organisation israélo-palestinienne de coexistence Standing Together, se rend régulièrement dans les villages abandonnés pour surveiller les propriétés. "Nous sommes ici pour garder un œil sur les propriétés, parce que de nombreux endroits abandonnés sont souvent pillés par des colons", explique-t-il.

Lors de sa visite à al-Hathrura, il a pu observer des colons installer tranquillement un canapé et une table à l'endroit où ils avaient établi leur cabane d'avant-poste. "Ils profitent du chaos", lance-t-il avec amertume. "Dans un sens, c'est une terre sans loi. Il y a bien des autorités dans la zone, mais aucune règle n'est jamais, ou seulement très rarement, appliquée".

Les ONG israéliennes Peace Now et Kerem Navot vont plus loin dans leurs accusations : les colons agiraient "avec l'appui du gouvernement israélien et de l'armée". Une complicité institutionnelle qui explique largement l'impunité dont bénéficient les auteurs de violences.

Un contexte politique favorable à la colonisation

Le gouvernement israélien actuel compte plusieurs ministres qui sont eux-mêmes des colons. Le cas le plus emblématique est celui de Bezalel Smotrich, ministre des Finances d'extrême droite et partisan déclaré de l'annexion complète de la Cisjordanie.

En novembre dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait certes dénoncé les agissements d'"une poignée d'extrémistes qui ne représentent pas les colons en Judée-Samarie", utilisant le nom biblique de la Cisjordanie. Mais cette condamnation verbale n'a été suivie d'aucune mesure concrète pour protéger les populations palestiniennes.

Une colonisation historique qui s'intensifie

Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967. Hormis Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël, plus de 500 000 Israéliens vivent aujourd'hui dans des colonies considérées comme illégales par l'ONU au regard du droit international, parmi quelque trois millions de Palestiniens.

La colonisation s'est poursuivie sous tous les gouvernements israéliens, de gauche comme de droite, depuis 1967. Cependant, elle s'est nettement intensifiée sous l'exécutif actuel, en particulier depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023. Cette accélération témoigne d'une volonté politique claire d'étendre l'emprise territoriale israélienne, au mépris du droit international.

Un avenir incertain pour les populations déplacées

Dans sa nouvelle maison à l'est d'al-Hathrura, Ahmed Kaabneh ne se sent toujours pas en sécurité. La menace persiste : des colons se sont déjà aventurés non loin de son nouveau lieu de vie et surveillent sa communauté depuis une colline voisine. "Ils nous poursuivent partout", lance-t-il avec résignation et inquiétude.

Cette phrase résume tragiquement la situation des communautés bédouines en Cisjordanie : même en fuyant, elles ne trouvent pas de refuge sûr. Le cycle du harcèlement et du déplacement forcé semble se répéter inlassablement, dans l'indifférence quasi générale de la communauté internationale.

La situation humanitaire se détériore rapidement, avec des milliers de personnes contraintes de vivre dans des conditions précaires, privées de leurs moyens de subsistance traditionnels et de leurs terres ancestrales. Les organisations internationales multiplient les rapports alarmants, mais les mesures concrètes pour protéger ces populations restent cruellement absentes.