La justice sud-coréenne se montre inflexible envers l'ancienne première dame du pays. Les procureurs ont requis mercredi une peine particulièrement sévère de 15 ans de prison à l'encontre de Kim Keon-hee, épouse de l'ancien président Yoon Suk-yeol. Cette femme de 52 ans fait face à un catalogue d'accusations graves qui ont profondément ébranlé la confiance des citoyens sud-coréens dans leurs institutions.
L'affaire, qui a éclaté de manière spectaculaire avec la diffusion d'une vidéo compromettante, illustre les dérives présumées d'une première dame accusée de s'être "placée au-dessus des lois". Au-delà de la simple corruption, c'est toute l'intégrité du système démocratique sud-coréen qui est questionnée à travers ce procès historique.
Un dossier d'accusations multiples et accablantes
Le parquet sud-coréen n'a pas fait dans la demi-mesure en dressant un réquisitoire particulièrement lourd contre Kim Keon-hee. Arrêtée en août dernier, l'ancienne première dame doit répondre de plusieurs chefs d'accusation qui s'étalent sur plus d'une décennie. Les procureurs ont non seulement réclamé 15 ans de prison ferme, mais également une amende de 20 millions de wons, soit environ 11 717 euros.
Les accusations portées contre elle couvrent un large spectre d'infractions. La manipulation de cours boursiers constitue l'un des volets les plus anciens de cette affaire, puisqu'elle aurait artificiellement gonflé la valeur des actions d'une entreprise de commerce automobile entre 2009 et 2012. Cette pratique, strictement interdite, permet à certains investisseurs de réaliser des profits illégaux au détriment des autres actionnaires.
Le scandale du sac de luxe qui a tout déclenché
C'est une vidéo devenue virale qui a véritablement mis le feu aux poudres. Un pasteur s'est filmé en train d'offrir à Kim Keon-hee un sac à main de créateur, alors qu'elle occupait la fonction de première dame entre 2022 et 2025. Ces images, largement relayées par les médias sud-coréens, ont provoqué un tollé national et forcé les autorités judiciaires à ouvrir une enquête approfondie.
L'acceptation de cadeaux de luxe par des personnalités publiques en exercice constitue une violation grave des règles éthiques en Corée du Sud. Cette affaire a rappelé aux citoyens d'autres scandales similaires qui ont émaillé l'histoire politique récente du pays, notamment celui impliquant l'ancienne présidente Park Geun-hye, destituée et emprisonnée pour corruption.
Des liens controversés avec l'Église de l'Unification
L'un des aspects les plus troublants de cette affaire concerne les relations présumées entre Kim Keon-hee et l'Église de l'Unification, connue internationalement sous le nom de "secte Moon". Les procureurs ont déclaré au tribunal que l'ancienne première dame avait "collaboré avec une organisation religieuse, sapant ainsi la séparation entre la religion et l'État prévue par la Constitution".
Cette dimension religieuse du dossier a pris une ampleur supplémentaire avec l'arrestation en septembre de Han Hak-ja, la dirigeante de cette église. Cette dernière est soupçonnée d'avoir offert à Kim Keon-hee un collier en diamant et plusieurs sacs de luxe. Son procès pour versement de pots-de-vin a débuté lundi à Séoul, ajoutant un nouveau chapitre à ce feuilleton judiciaire qui passionne l'opinion publique sud-coréenne.
Ingérence dans les nominations politiques
Au-delà de la corruption personnelle, Kim Keon-hee est également accusée d'avoir interféré dans le processus démocratique lui-même. Selon l'acte d'accusation, elle aurait influencé la nomination de parlementaires au sein du Parti du pouvoir au peuple (PPP), la formation politique de son mari.
Cette ingérence présumée est considérée par les procureurs comme une atteinte grave au système démocratique. Dans leur réquisitoire, ils ont souligné que ces actions avaient "porté atteinte à l'équité des élections et au système de démocratie représentative qui constitue le fondement de la gouvernance nationale". En Corée du Sud, où la démocratie a été durement acquise après des décennies de régime autoritaire, de telles accusations résonnent avec une intensité particulière.
Une défense nuancée face aux accusations
Lors de sa dernière comparution devant le tribunal, Kim Keon-hee a adopté une stratégie de défense à double tranchant. D'une part, elle a qualifié les accusations portées contre elle de "profondément injustes", contestant la gravité des faits qui lui sont reprochés. D'autre part, elle a fait preuve d'une certaine humilité en reconnaissant ses erreurs.
"Cependant, lorsque je considère mon rôle et les responsabilités qui m'ont été confiées, il semble clair que j'ai commis de nombreuses erreurs", a-t-elle admis devant la cour. Cette reconnaissance partielle pourrait être interprétée comme une tentative d'obtenir la clémence des juges, tout en maintenant son innocence sur les chefs d'accusation les plus graves.
Un contexte politique explosif
Le timing de cette audience finale n'est pas anodin. Elle s'est déroulée exactement un an après que son mari, l'ancien président Yoon Suk-yeol, ait proclamé la loi martiale, plongeant la Corée du Sud dans l'une de ses pires crises politiques depuis la démocratisation du pays dans les années 1980.
Cette déclaration de loi martiale, largement considérée comme anticonstitutionnelle, avait provoqué une onde de choc dans la société sud-coréenne et précipité la chute politique de Yoon Suk-yeol. Le procès de son épouse apparaît ainsi comme le prolongement judiciaire d'une période tumultueuse qui a profondément ébranlé les institutions du pays.
Les enjeux du verdict à venir
Le tribunal devrait rendre son verdict le 28 janvier prochain, une date attendue avec impatience par l'ensemble de la classe politique et de l'opinion publique sud-coréenne. Si la peine de 15 ans requise par le parquet était prononcée, elle constituerait l'une des condamnations les plus sévères jamais infligées à une ancienne première dame dans l'histoire du pays.
Ce procès s'inscrit dans une longue série de scandales impliquant les plus hautes sphères du pouvoir en Corée du Sud. Plusieurs anciens présidents ont été condamnés pour corruption, détournement de fonds ou abus de pouvoir, témoignant d'une culture politique où les frontières entre intérêt public et enrichissement personnel ont souvent été floues.
L'issue de ce procès sera scrutée non seulement pour ses implications judiciaires, mais aussi pour le message qu'elle enverra sur la capacité du système judiciaire sud-coréen à tenir pour responsables les élites politiques, quelle que soit leur position. Dans un pays où la confiance envers les institutions a été sérieusement écornée ces dernières années, ce verdict pourrait constituer un test crucial de l'indépendance et de l'impartialité de la justice.











