En perte de vitesse en Irlande du Nord, les loyalistes, qui ont historiquement dominé démographiquement et politiquement la province britannique, adoptent depuis des années une rhétorique ouvertement anti-immigration qui attise les divisions, selon des experts.
Dernier coup d’éclat ? Des mannequins à l’effigie de migrants installés sur un bûcher dans un village du sud de la province, Moygashel, à l’occasion des traditionnelles célébrations loyalistes.
Des célébrations loyalistes controversées
Un feu de joie provocateur
Malgré l’indignation suscitée par cette mise en scène, le feu de joie s’est déroulé jeudi soir en présence d’une centaine de personnes. Chaque année, des centaines de bûchers, parfois hauts de plusieurs étages, sont érigés à l’approche des parades de l’ordre d’Orange, célébrées tous les 12 juillet en mémoire de la victoire du roi protestant Guillaume III d’Orange sur les troupes de Jacques II le catholique en 1690.
Beaucoup de catholiques y voient une provocation. A Moygashel, les organisateurs n’ont eu que faire de la polémique. «Là où un feu de joie doit être dressé, il le sera», a déclaré un homme décrit comme une «représentant de la communauté» de Moygashel dans une vidéo diffusée par le groupe Turning Point UK, connu pour promouvoir des idées d’extrême droite.
Et de poursuivre, dos à la caméra: «Peu importe ce que nous déciderons de mettre au sommet du bûcher, ce sera notre choix. Personne, absolument personne, ne nous dictera le contraire». Cette mise en scène intervient dans le contexte des émeutes qui ont agité la province il y a un mois après l’inculpation de deux adolescents pour la tentative de viol d’une jeune fille à Ballymena, au nord de Belfast. Selon la presse locale, ces deux adolescents s’expriment en roumain.
Un contexte de tensions croissantes
En août 2024, des émeutes avaient aussi visé des quartiers immigrés à Belfast. Dans les deux cas, les violences se sont produites dans des zones loyalistes protestantes et pro-britanniques. Et ce n’est pas un hasard, selon les experts.
Les loyalistes ont contrôlé l’Irlande du Nord jusqu’aux années 1970, rappelle auprès de l’AFP Dominic Bryan, professeur à la Queen’s University de Belfast et un des meilleurs connaisseurs des loges orangistes nord-irlandaises. Mais, souligne-t-il, la situation a considérablement changé depuis.
Le recensement de 2021 a révélé que, pour la première fois, les catholiques étaient plus nombreux que les protestants dans la province: 45,7% contre 43,5% sur une population totale de 1,9 million d’habitants.
«Les membres de la classe ouvrière loyaliste ont vu leur pouvoir, leur espace et leur population diminuer, et ils se perçoivent désormais comme une minorité», analyse-t-il. A cela s’ajoute un sentiment de déclassement. Les émeutes se sont produites dans des quartiers pauvres qui ont vécu de plein fouet la désindustrialisation. C’est ce sentiment qui nourrit une rhétorique ouvertement anti-migrants. Mais la virulence des propos anti-immigration n’est pas le seul problème.
Une rhétorique de plus en plus extrême
Pour Dominic Bryan, «certaines manifestations des loyalistes sont de plus en plus extrêmes». Selon des chiffres du PSNI (Police Service of Northern Ireland) publiés en 2024, les crimes racistes ont dépassé en ampleur les crimes communautaires. D’autres chiffres montrent que la proportion de migrants en Irlande du Nord est pourtant bien moindre qu’en Angleterre. Elle dépasse à peine les 3% (3,4%), contre 18% en Angleterre et au Pays de Galles.
Ces événements montrent une radicalisation croissante des discours et des actions des loyalistes, qui cherchent à affirmer leur identité dans un contexte de changements démographiques et socio-économiques profonds.