Logo webradio media

"Ubisoft : trois anciens cadres jugés pour harcèlement systémique"


"Le tribunal de Bobigny examine les accusations de harcèlement sexuel et moral chez Ubisoft. Les témoignages révèlent une culture toxique."

"Ubisoft : trois anciens cadres jugés pour harcèlement systémique"

Traiter ses collègues de «bitch», «morue» ou contraindre une subordonnée à faire le poirier en jupe : Tommy François, ancien vice-président du service éditorial d’Ubisoft, a invoqué lundi «la culture Ubi» et s’est excusé à la barre, reconnaissant que «ça n’est pas normal». Cette semaine, le tribunal correctionnel de Bobigny juge trois anciens hauts cadres de la société de jeux vidéo, accusés d’avoir mené et encouragé un harcèlement sexuel et moral systémique au cours de la décennie 2010.

«Je n’ai pas réfléchi, c’était l’ambiance, la culture Ubi: je ne me posais pas la question», a répété nerveusement Thomas dit «Tommy» François aux magistrats qui l’ont longuement interrogé après avoir recueilli les témoignages accablants de plusieurs plaignants. «Quand il venait vers mon bureau, j’avais peur», se remémore une employée qui affirme que le quadragénaire l’avait pris «comme sa bête de foire».

Une Culture Toxique et Systémique

Elle rappelle combien les propos graveleux se voulant drôles étaient quotidiens dans l’open-space où les hommes étaient très largement majoritaires. Plusieurs actes humiliants ont aussi marqué la jeune femme. La première fois que Tommy François lui ordonne de faire le poirier en public, elle s’exécute, «comme c’était mon supérieur hiérarchique» dit-elle au tribunal.

Des Actes Humiliants et Dégradants

Alors qu’il exige qu’elle renouvelle la pose régulièrement au fil des semaines, elle choisit sciemment un jour de porter une jupe serrée. Une «stratégie d’évitement», selon ses mots, qui n’aura cependant pas arrêté Tommy François. À ses débuts au studio, l’employée d’une vingtaine d’années est ligotée à une chaise et envoyée en ascenseur à l’étage supérieur, un «bizutage» mené par le vice-président qui jouissait d’une «aura et position hiérarchique élevée», a rappelé le tribunal.

Des Témoignages Accablants

Autre blague se voulant potache: il lui a été demandé publiquement de vernir de rose les ongles de pieds et mains de Tommy François, ce qu’elle a réalisé sans chercher à contester «pour me débarrasser au plus vite de ce qu’il m’imposait», témoigne la plaignante. Avant elle, une ancienne assistante de direction d’Ubisoft a raconté au tribunal avoir «passé trois ans à essayer d’arrondir les angles dans un univers ou insultes, cris et accès de violence étaient quotidiens».

Des Regrets Tardifs

En réponse à ces déclarations accusatrices, Tommy François exprime rapidement des regrets. «J’étais content de m’amuser avec mes collègues,» se rappelle le prévenu, remontant les manches de sa chemise blanche jusqu’aux coudes, lui qui avait «à l’époque l’impression d’être dans le respect des gens». Devant le tribunal, il répète à l’envi n’avoir pas été «l’instigateur de cette culture geek: quand je suis arrivé à Ubisoft, j’ai trouvé une ambiance».

Son leitmoiv à l’époque: «Il faut être fun pour faire du fun». Quand la présidente l’interroge sur ses insultes et propos sexistes incessants, Tommy François rétorque que «ça faisait partie du vocabulaire Ubisoft». Il assure que ce harcèlement «n’était pas pour dégrader, c’était presque affectif».

Une Réflexion Tardive sur la Normalité

Une décennie a passé depuis les faits qui sont débattus au tribunal et il a confessé lundi que cette «normalité à l’époque» n’était «pas acceptable». Lui qui martèle avoir «manqué de recul» sur son mode toxique de management, responsabilité à laquelle il n’a jamais été formé, souligne aussi «n’avoir jamais été convoqué par les RH», situées «à cinq mètres de mon bureau». À l’issue des deux ans d’enquête sur ce dossier, le procureur n’a décidé de poursuivre ni l’entreprise Ubisoft ni ses responsables des ressources humaines, au grand dam des parties civiles et de la défense.

Conclusion

Le procès de Tommy François et des autres cadres d’Ubisoft met en lumière une culture d’entreprise toxique et systémique, où le harcèlement était banalisé et considéré comme une partie intégrante de l’ambiance de travail. Les témoignages des victimes révèlent des actes humiliants et dégradants, souvent justifiés par une prétendue «culture geek» qui n’avait rien d’inoffensif. Les regrets tardifs de Tommy François ne peuvent effacer les années de souffrance endurées par les employés, et la question de la responsabilité de l’entreprise reste posée.