La justice allemande a sanctionné lundi le tour de vis migratoire du nouveau chancelier conservateur Friedrich Merz, en jugeant illégale sa politique de refoulement aux frontières des demandeurs d’asile, déjà contestée par les pays voisins. Cette mesure controversée, dont certains partis d’opposition ont souligné l’incompatibilité avec les règles européennes, a été mise en place dès le 7 mai, soit le lendemain de l’entrée en fonction du nouvel exécutif allemand.
Le chancelier de 69 ans tenait ainsi une promesse faite pendant la campagne électorale de réduire nettement l’immigration dans le pays, dans un contexte de montée de l’extrême droite et après plusieurs agressions mortelles ayant impliqué des étrangers. Mais le tribunal administratif de Berlin s’est montré très clair dans un jugement publié lundi, où il juge «illégal» le refoulement de demandeurs d’asile.
Une décision qui fait jurisprudence
Le jugement du tribunal administratif de Berlin
«Les personnes qui demandent l’asile lors d’un contrôle aux frontières sur le territoire allemand ne peuvent être refoulées sans que la procédure européenne de Dublin ait été appliquée afin de déterminer l’État membre responsable de l’examen de leur demande d’asile», a-t-il indiqué dans un communiqué, après avoir été saisi par trois Somaliens.
Ces derniers, deux hommes et une femme, étaient arrivés en train depuis la Pologne. Après un contrôle le 9 mai 2025 à la gare de Francfort-sur-l’Oder, ils ont été renvoyés en Pologne le jour même, alors qu’ils avaient demandé l’asile. Ils ont alors contesté ce refoulement devant la justice allemande, qui leur a donc donné raison.
L'application de la procédure de Dublin
Comme les Somaliens avaient exprimé une demande d’asile, «ils devaient être autorisés à franchir la frontière» et la procédure de Dublin, déterminant quel pays était responsable de leur demande d’asile, devait être appliquée en Allemagne. L’Allemagne ne peut pas «invoquer (...) une situation d’urgence», comme le fait le gouvernement, a poursuivi le tribunal, soulignant que la police «n’a pas suffisamment démontré l’existence d’une menace pour la sécurité ou l’ordre public».
La «décision n’est pas susceptible d’appel», a-t-il ajouté. Si le jugement porte sur le cas précis des trois plaignants somaliens, «les considérations juridiques du tribunal sont transposables à des cas comparables», a indiqué une porte-parole à l’AFP, et devraient donc faire jurisprudence. Les Somaliens pourront revenir en Allemagne, mais pas au-delà de la région frontalière, où leur demande devra être traitée.
Réactions des pays voisins
La multiplication des contrôles et le refoulement des demandeurs d’asile ont irrité les voisins de l’Allemagne, notamment le Luxembourg, la Pologne et la Suisse. Les maires de Strasbourg et de Kehl, villes française et allemande situées de part et d’autre du Rhin, ont aussi dénoncé les contrôles aux frontières renforcés qui compliquent à leurs yeux la vie des frontaliers.
Selon des sources proches du gouvernement allemand, l’ambassade de France a aussi demandé par écrit des précisions sur la politique migratoire allemande, soulignant que les deux pays «partagent le souci commun de limiter autant que possible les restrictions imposées aux frontaliers».
Contexte politique et promesses électorales
Le conservateur Friedrich Merz s’est engagé à réduire nettement l’immigration durant la campagne électorale des législatives du 23 février, dominée par les questions migratoires. Dans un contexte de montée de l’extrême droite et après plusieurs agressions mortelles impliquant des étrangers, cette promesse était un élément central de sa campagne.
Pas de «situation d’urgence»
Le tribunal a clairement indiqué que l’Allemagne ne pouvait pas invoquer une situation d’urgence pour justifier le refoulement des demandeurs d’asile. Cette décision pourrait avoir des répercussions importantes sur la politique migratoire future de l’Allemagne et sur les relations avec ses voisins européens.
Freiner l’AfD
La montée de l’extrême droite, représentée par le parti AfD, a été un facteur déterminant dans la décision de Friedrich Merz de durcir la politique migratoire. Cependant, cette décision de justice pourrait freiner les ambitions du parti d’extrême droite en montrant les limites légales des politiques migratoires restrictives.