Logo webradio media

La Cour de cassation examine les accusations de torture dans l'affaire French Bukkake


Trente-deux parties civiles ont formé un pourvoi pour faire reconnaître des circonstances aggravantes dans cette affaire de viols en réunion.

La Cour de cassation examine les accusations de torture dans l'affaire French Bukkake

C’est un dossier dont les enjeux devancent le droit: les plaignantes pour viols dans l’affaire de la plateforme «French Bukkake» affirment aussi avoir été torturées, et la justice se penche à nouveau sur leur demande de prendre en compte cette circonstance aggravante. Dans cette information judiciaire, seize hommes, présumés innocents, ont été renvoyés en procès pour viols en réunion ou trafic d’êtres humains, de 2015 à 2020. De nombreuses plaignantes ont demandé que soient ajoutées des circonstances qui leur feraient encourir une peine plus lourde aux assises. Début février, la cour d’appel de Paris a rejeté leurs requêtes.

Trente-deux parties civiles ont formé un pourvoi examiné mercredi par la Cour de cassation, plus haute juridiction française. «J’ai subi une double pénétration vaginale sans en être informée», avait raconté fin mars à l’AFP Fanny, demandant que son prénom soit modifié pour garantir sa sécurité. C’était un week-end d’octobre 2015. À 20 ans, elle tournait pour «la première et unique fois». «J’ai saigné. J’ai repoussé, pleuré. J’ai bien dit ‹Non› (...) mais on m’a tenue plus fort». «Je n’ai pas été une actrice», affirmait Fanny. «On ne m’a pas fait signer de contrat, et surtout, une actrice joue un rôle. Tout ce qui a été montré à l’écran, la violence, les viols, je les ai vécus, il n’y a pas eu de simulation».

Un dossier complexe et controversé

Les accusations de torture et de viol

Au contraire, de nombreux accusés assurent, eux, que les femmes étaient consentantes, qu’il s’agissait d’un jeu d’acteurs. Ils ont dénoncé une enquête à charge. Si les viols en réunion ont été retenus pour le procès à venir, la justice a jusqu’à maintenant écarté les circonstances aggravantes de torture, de sexisme et de racisme. Début février, la cour d’appel a bien reconnu des actes sexuels «douloureux», mais estimé qu’il n’y avait pas de «blessure distincte délibérément infligée», donc pas de torture. Elle a aussi considéré que «les souffrances ne pouvaient être considérées comme exceptionnellement aigües et prolongées», car les scènes avaient «une durée limitée», même si les tournages pouvaient durer 24 heures d’après des témoignages.

Les arguments juridiques

En droit, les conseils des parties civiles considèrent que le rejet de la cour d’appel viole des articles de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), relatifs à la torture et à la non discrimination, estimant que «la justice culpabilise les victimes». L’avocat général à la Cour de cassation compte, lui, majoritairement soutenir la cour d’appel mercredi, a appris l’AFP de source proche du dossier. Au sujet du racisme et du sexisme, il estime recevable son raisonnement selon lequel les propos des acteurs – «salope, pute, vide-couilles»... – étaient «délibérément outrés, joués» et non réellement destinés aux «jeunes actrices, mais au spectateur».

Les accusations de proxénétisme

La cour d’appel avait écarté aussi les accusations de proxénétisme au sujet des acteurs: à ses yeux, ces derniers n’avaient pas participé aux tournages pour «obtenir une jouissance sexuelle» mais pour «réaliser une œuvre cinématographique». Une analyse vivement contestée par les parties civiles, qui s’appuient notamment sur des échanges entre accusés, dont l’AFP a eu connaissance. Début 2019, l’un écrivait un email où il dit vouloir «faire venir cette ‹milf› (acronyme anglais signifiant mère de famille sexuellement attirante, NDLR) pute siliconée vulgaire» ou précisait vouloir «re-ken avec plaisir» une autre.

Un e-mail de 2020 mentionnait aussi une femme avec «tatouage, mais vulgos et tête de pute, comme tu aimes». Certains courriels ont par exemple pour objet «ebola», pour parler d’une femme noire. Toutefois, si le «caractère artistique» de l’industrie pornographique «peut être discuté», compte concéder mercredi l’avocat général, celle-ci est «légalement encadrée». Il lui paraît donc impossible de le comparer à de la prostitution, illégale en France, comme le font des parties civiles.

Les enjeux de l'industrie pornographique

L’industrie pornographique, bien que controversée, est légalement encadrée. Les parties civiles estiment que les actes commis dans le cadre de la plateforme «French Bukkake» dépassent le cadre légal et relèvent de la prostitution et du proxénétisme. Les accusés, de leur côté, maintiennent que leurs actions étaient dans le cadre d’une œuvre cinématographique et non pour obtenir une jouissance sexuelle.

Ce dossier met en lumière les complexités et les ambiguïtés de l’industrie pornographique, ainsi que les défis juridiques et éthiques qu’elle pose. La décision de la Cour de cassation pourrait avoir des répercussions importantes non seulement pour les parties impliquées, mais aussi pour l’industrie dans son ensemble.