À la table des Kuperstein, la chaise de leur petit-fils Bar, otage à Gaza depuis plus de 560 jours, reste vide. Pour son grand-père Michael, 84 ans, rescapé des persécutions juives sous le nazisme, c’est une nouvelle tragédie. Pour lui, il s’agit d'«une seconde Shoah». Malgré des problèmes de santé, l’octogénaire doit participer jeudi à la marche annuelle en mémoire de la Shoah, la Marche des Vivants, sur le site de l’ancien camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, dans le sud-ouest de la Pologne.
Oscillant entre espoir et colère alors que les négociations pour la libération des otages sont au point mort, il n’a qu’une idée en tête: revoir son petit-fils, apparu le 5 avril, dans une première preuve de vie en images, avec un autre otage dans une vidéo de la branche armée du Hamas. Le gouvernement «dit que nous devons continuer la guerre, il nous fait croire que c’est une nécessité, que nous n’avons pas d’autre choix, mais ce n’est pas vrai», dit-il.
Une histoire de survie et de tragédie
Échappé à la mort
Lui-même a échappé à la mort en 1941 quand sa mère a réussi à le cacher à Tachkent (alors en URSS, aujourd’hui en Ouzbékistan) en fuyant l’arrivée des nazis sur le territoire soviétique, quelques mois après sa naissance. En 1972, il s’installe en Israël avec son épouse Faina et leurs deux enfants mais le sort va s’acharner.
Une famille marquée par le destin
Leur fils Tal Kuperstein, secouriste bénévole, est victime d’un grave accident alors qu’il est en route pour sauver une fillette de quatre ans. Il devient handicapé, privé de parole et de mouvements. Bar, le fils aîné de Tal, alors âgé de 17 ans, s’installe à Holon, en banlieue de Tel-Aviv, chez ses grands-parents pour laisser sa chambre à un aide-soignant qui s’occupe de son père. Devenu secouriste -comme son père-, le jeune homme va sauver la vie de son grand-père, victime d’un accident cardiaque à la maison. Il lui prodiguera les premiers soins et appellera une ambulance.
Enlevé à Gaza
Deux mois plus tard, le 7 octobre 2023, il est enlevé, à 21 ans, au festival de musique Nova, près de la bande de Gaza, théâtre d’une des attaques du Hamas palestinien. Plus de 370 personnes y sont massacrées. Bar Kuperstein a été vu sur une vidéo du Hamas, pieds et mains ligotés et une corde autour du cou, juste après son enlèvement.
Premières nouvelles après des mois de silence
Ce n’est qu’en février dernier que ses proches ont reçu de ses nouvelles via des otages libérés, avec qui il avait été retenu dans des tunnels de Gaza. Des témoins ont raconté à la famille Kuperstein que le jeune homme avait soigné des blessés sur le site du festival le jour de l’attaque, avant d’être enlevé. Sur la vidéo du 5 avril tournée par ses ravisseurs, «Bar semble extrêmement maigre. Il a les yeux de son grand-père. C’est le seul à avoir hérité des yeux de son grand-père, il lui ressemble beaucoup quand il était jeune», raconte la grand-mère du jeune homme, Faina Kuperstein. «Mais ses yeux ne brillent plus. Il a l’air extrêmement pâle, je ne reconnais plus son visage», confie-t-elle, les larmes aux yeux.
«Il ne sortait pas de la maison sans m’embrasser, il me manque tellement», ajoute-t-elle. Sur les 251 otages enlevés lors des attaques du Hamas le 7 octobre 2023, qui ont déclenché la guerre, 58 sont toujours retenus dans la bande de Gaza, dont 34 morts selon l’armée israélienne. «Ils auraient dû être libérés (...) mais nous attendons encore, et rien ne change à part des annonces que des soldats meurent. Pourquoi?", demande le grand-père.
Un message d'espoir
Le père du jeune homme qui a eu 23 ans début avril veut s’adresser à son fils malgré ses difficultés d’élocution. Quel message veut-il lui transmettre? Qu’il a retrouvé l’usage de la parole et qu’il «l’aime». Il ne cache pas sa fierté d’avoir pu récemment trouver la force de dire quelques mots et espère désormais pouvoir remarcher un jour.
La chambre de Bar Kuperstein est propre et rangée. Sa grand-mère dit y venir tous les jours et lui parle à chaque repas. Un portrait est posé sur la chaise vide autour de la table. Les larmes aux yeux, elle veut aussi s’adresser à son petit-fils: «Ton père parle, il va bientôt marcher, tu en a rêvé et regarde: il le fait. Il faut que tu restes fort, pour que tu puisses revenir parmi nous».