Dans l'ouest du Soudan, la chute de la ville d'El-Fasher le 26 octobre dernier marque un tournant tragique dans le conflit qui déchire le pays depuis avril 2023. Après 18 mois de siège marqués par la famine et les bombardements incessants, ce dernier bastion de l'armée régulière dans la région du Darfour est tombé aux mains des Forces de soutien rapide (FSR). Depuis cette date, les témoignages affluent et dressent un tableau glaçant de la situation : massacres, enlèvements, razzias et violences sexuelles systématiques perpétrés par les paramilitaires dans une région désormais coupée du monde.
Les récits des survivants qui ont réussi à fuir vers des villes refuges comme Tawila révèlent l'ampleur des atrocités commises. Ces témoignages, recueillis par des organisations humanitaires et des médias internationaux, convergent tous vers une même réalité : l'utilisation massive de la violence sexuelle comme arme de guerre par les combattants des FSR contre les populations civiles.
Des témoignages accablants de violences systématiques
Amira, mère de quatre enfants, a trouvé refuge à Tawila après avoir fui El-Fasher. Aujourd'hui, elle vit dans un abri de fortune, entourée de milliers d'autres déplacés qui s'entassent sous des bouts de tissus transformés en tentes. Chaque matin, elle se réveille en tremblant, hantée par les scènes d'horreur dont elle a été témoin durant son exode.
"C'étaient des viols collectifs. Des viols collectifs en public, devant tout le monde, et personne ne pouvait les arrêter", a-t-elle confié lors d'un webinaire organisé par l'ONG Avaaz. Son témoignage fait écho à celui de centaines d'autres femmes qui ont subi ou assisté à des violences similaires. "Nous nous réveillons en tremblant de peur, les images du massacre nous hantent", ajoute-t-elle, exprimant le traumatisme profond qui marque désormais sa vie quotidienne.
Un système de rançon et de prédation
Le parcours d'Amira vers la sécurité relative de Tawila illustre la stratégie de terreur mise en place par les FSR. À Korma, un village situé à environ 40 kilomètres d'El-Fasher, elle a été retenue pendant deux jours avec d'autres civils en fuite. La raison : elle ne pouvait pas payer le droit de passage exigé par les combattants. Selon son témoignage, ceux qui ne disposaient pas des moyens financiers suffisants se voyaient refuser l'accès à la nourriture, à l'eau et à la possibilité de poursuivre leur route.
"Ils venaient vous violer pendant que vous dormiez", raconte-t-elle avec effroi. "J'ai vu de mes propres yeux des personnes qui n'avaient pas les moyens de payer et les combattants ont pris leurs filles à la place. Ils ont dit : 'Puisque vous ne pouvez pas payer, nous prendrons les filles'. Et les filles jeunes, ils les emmenaient immédiatement". Ces agressions se déroulaient systématiquement durant la nuit, transformant chaque moment de repos en cauchemar pour les familles retenues.
Des chiffres qui révèlent l'ampleur du drame
Les données collectées par diverses organisations confirment l'ampleur catastrophique des violences sexuelles. Médecins sans frontières (MSF) a rapporté que plus de 300 survivantes de violences sexuelles avaient sollicité son équipe basée à Tawila après l'assaut des FSR sur le camp voisin de Zamzam au printemps. Cette offensive avait provoqué la fuite de 380 000 réfugiés, créant une crise humanitaire d'une ampleur considérable.
La Coordination générale pour les personnes déplacées et les réfugiés au Darfour, une organisation humanitaire indépendante, a recensé 150 cas de violences sexuelles entre le 26 octobre et le 1er novembre, soit en seulement six jours. Ces chiffres, déjà alarmants, ne représentent probablement qu'une fraction de la réalité, de nombreuses victimes n'ayant pas la possibilité de signaler les abus subis.
Selon Sulimah Ishaq, ministre d'État soudanaise chargée des Affaires sociales, le bilan humain est encore plus lourd : "Le premier jour des violences, 300 femmes ont été tuées, certaines après avoir été agressées sexuellement. Le deuxième jour, 200 autres ont été tuées". Ces déclarations officielles soulignent la dimension génocidaire des violences perpétrées.
L'indignation de l'ONU face aux violences
La semaine dernière, l'Organisation des Nations Unies s'est indignée du sort réservé à 25 femmes, victimes d'un viol collectif perpétré par les FSR dans un refuge situé à proximité de l'Université d'El-Fasher. "Des témoins ont confirmé que des membres des FSR ont sélectionné des femmes et des filles et les ont violées sous la menace d'une arme", a déclaré Seif Magango, porte-parole du Bureau des droits de l'homme des Nations Unies, lors d'une conférence de presse à Genève.
Cette déclaration officielle confirme ce que les organisations humanitaires et les défenseurs des droits humains dénoncent depuis des mois : l'utilisation systématique de la violence sexuelle comme stratégie militaire et comme moyen de terroriser les populations civiles.
Humiliations et tortures généralisées
Mohamed, un autre survivant qui a témoigné lors du webinaire organisé par Avaaz, a décrit les humiliations subies par les civils à Garni, une localité située entre El-Fasher et Tawila. "S'ils ne trouvaient rien sur vous, ils vous battaient. Ils ont fouillé les filles, allant jusqu'à déchirer leurs serviettes hygiéniques", a-t-il rapporté, illustrant la volonté délibérée des combattants d'humilier et de déshumaniser leurs victimes.
Amira complète ce tableau en décrivant une méthode systématique de tri des populations. "Les chefs des FSR venaient saluer les gens, mais dès qu'ils partaient, les combattants restés sur place se mettaient à torturer les gens en les triant par catégorie : 'mariée à un soldat', 'affilié à l'armée'", explique-t-elle. Cette classification permettait aux paramilitaires d'identifier les personnes considérées comme ennemies et de les soumettre à des traitements particulièrement violents.
Les hommes n'étaient pas épargnés par cette violence. Amira raconte avoir vu des hommes se faire massacrer à coups de couteau par des combattants des FSR. "Mon fils de 12 ans a vu cela de ses propres yeux, il est maintenant dans un mauvais état psychologique", confie-t-elle, soulignant l'impact traumatique de ces violences sur toute une génération d'enfants.
Une stratégie documentée de contrôle par la terreur
Pour Amnesty International, ces violences s'inscrivent dans une stratégie délibérée. "Des violences sexuelles généralisées commises par les FSR ont été commises dans le but d'humilier, d'asseoir leur contrôle et de déplacer des populations, partout dans le pays", alertait l'organisation en avril dernier. Cette analyse confirme que les agressions ne sont pas des actes isolés commis par des individus incontrôlés, mais bien une politique systématique visant à terroriser et à déplacer les populations civiles.
Depuis le début du conflit en avril 2023, Amnesty International documente méticuleusement les violences sexuelles commises par les combattants des deux camps, en particulier à Khartoum et au Darfour. Cette documentation révèle que si les deux parties au conflit se rendent coupables d'exactions, les FSR se distinguent par l'ampleur et le caractère systématique des violences sexuelles perpétrées.
L'impunité et l'inaction internationale
Pointant "plus de deux décennies d'impunité", Amnesty International a appelé à plusieurs reprises la communauté internationale à ouvrir une enquête pour "crimes de guerre et crimes contre l'humanité". Ces appels sont restés sans réponse concrète, laissant les victimes dans un sentiment d'abandon et permettant aux auteurs de ces crimes de continuer leurs exactions en toute impunité.
L'absence de réaction ferme de la communauté internationale face à ces atrocités soulève des questions troublantes sur la volonté réelle des grandes puissances de protéger les populations civiles dans les zones de conflit. Le Darfour, qui avait déjà été le théâtre de violences massives au début des années 2000, semble une nouvelle fois abandonné à son sort tragique.
Les témoignages recueillis, dont les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité, offrent un aperçu glaçant d'une crise humanitaire qui se déroule loin des regards du monde. Dans les abris de fortune de Tawila et d'autres villes refuges, des milliers de survivants tentent de reconstruire leur vie, portant le poids de traumatismes qui marqueront plusieurs générations. Pendant ce temps, dans les zones contrôées par les FSR, les violences se poursuivent, perpétuant un cycle de terreur dont l'issue reste incertaine.











